Carrie, l’éternelle adolescente – Acte 1

Acte 2 >


Voici Carrie. La trentaine à peine dépassée. Une petite brune que beaucoup qualifieraient de « pétillante », ce terme qu’on n’emploie que pour les jeune filles de 8 ans et les chieuses qui parviennent à nous exciter malgré tout.

Je l’ai rencontrée sur Tinder, ce qui dit à peu près tout. Mais développons.

J’étais encore avec Marie-Cécile à l’époque, mais je savais que notre relation n’en avait plus que pour quelques semaines. Il fallait donc préparer l’avenir. Je l’ai rencontrée comme d’habitude, en fin d’après-midi dans un bar de Paris qu’elle connaissait. Il faut toujours laisser aux jeunes filles peu sûres d’elles un peu de confort. Et de confort, Carrie en avait besoin.

Carrie se révéla un spécimen particulièrement intéressant de jeune fille peu sûre d’elle-même mais qui ne l’avouerait pour rien au monde. Elle avait développé une palanquée de mimiques, attitudes, réparties pour faire illusion. Et ça devait marcher. En tout cas avec sa cible de prédilection, le geek. Et geek, je ne l’étais plus depuis 20 ans.

Carrie organisait sa vie autour d’un seul but : être le centre de l’attention. Plus facile à dire qu’à faire lorsqu’on est mignonne mais pas belle, maligne mais pas intelligente, curieuse mais pas cultivée, artiste mais sans talent. Sa technique pour y parvenir tenait dans deux adages célèbres : « au royaume des aveugles, les borgnes sont rois » et, lorsqu’elle n’était pas entourée d’aveugles, « fake it if you can’t make it ».

Toute sa vie était remplie d’activités visant à la placer au centre d’un cercle de gens facilement impressionnables. La danse de salon, peuplée de femmes et de puceaux timides, la chorale, pour être applaudie sans devoir chanter juste, les jeux de plateau, pour triompher au milieu d’impuissants. Jusqu’à son travail, un dream job comme elle l’appelait : happiness officer dans une boîte d’informatique. Parfait pour être la seule fille au milieu d’un océan de frustrés.

Notre premier rendez-vous se déroula le plus banalement du monde, avec quelques verres suivis d’un restau. Elle avait un regard à la fois enfantin et très adulte qui m’intriguait, et ses manières de s’adresser au serveur, de parler avec emphase de ses anecdotes personnelles, de placer le plus normalement du monde des mots anglais que personne n’emploie, même pas les startupers macronistes, avaient le mérite de l’originalité. Je finis la soirée comme un gentleman en la raccompagnant au bas de chez elle, tout en lui précisant que je ne tenterai rien. Comme beaucoup, elle n’était pas prête à coucher le premier soir, malgré son envie manifeste. C’était l’une des briques qu’elle édifiait pour conserver un semblant de pouvoir. Je pardonne toujours cette attitude au premier rendez-vous. Beaucoup moins au deuxième.

Heureusement, Anita, mon plan cul asiatique, habitait à deux rues de chez elle. Voyant dès la fin du restaurant que ça n’irait nulle part avec Carrie ce soir-là, j’avais pris contact, et elle était disponible. Je finis donc la soirée en elle.

Je ne me souviens ni de notre second rendez-vous avec Carrie, ni de notre première fois. Je me souviens seulement de son appartement. Petit, comme tous les apparts de trentenaires parisiennes, mais surtout dans un état de foutoir inimaginable. Des piles d’objets non identifiés mêlés à des fringues, des boîtes et des caisses, qui devaient probablement elles-mêmes contenir objets et fringues. Il était impossible de s’asseoir nulle part sauf sur une moitié du lit, ni de poser son sac ailleurs qu’en équilibre sur la pile la moins haute. La salle de bain, en plus d’être minuscule et encombrée d’un nombre excessif de cosmétiques par rapport à sa superficie, était dans un état de crasse avancée. Je compris immédiatement que notre relation ne durerait pas comme les impôts.

Évidemment, elle a vu en moi la quintessence du beau parti. C’était cette corde qu’il fallait jouer avec elle, cette unique corde, l’une de celles dont je joue le mieux. Elle devint accro. Un peu à moi, et beaucoup à l’image que je lui renvoyais. De mon côté, j’avais pu assurer une transition en douceur avec Marie-Cécile et je disposais d’un nouveau sujet d’étude particulièrement intéressant. Et la volonté de Carrie de conserver son monde à elle, ou plutôt mon absence totale d’envie de le partager, allait me laisser du temps pour d’autres rencontres. Et puis le mois d’août approchait, et je n’avais pas envie de voyager cette année-là. Bref, c’était parfait.

Je l’invitai rapidement à passer plusieurs jours chez moi. Je la mis à l’aise, la fis se sentir chez elle. Je la baisais beaucoup. Il faut dire qu’elle était incroyablement excitée par moi, et avait cette qualité délicieuse de mouiller abondamment. Elle changeait sa culotte une à deux fois par jour, nous dûmes même faire une lessive. Comme la plupart des filles peu sûres d’elles mais qui le camouflent, elle n’avait jamais joui avec un homme. Je fus le premier, ce qui ne manqua pas d’attiser son excitation permanente et d’amplifier son attirance pour moi. Elle s’ouvrît rapidement et était plutôt réceptive, je l’initiai donc aux plaisirs sodomites et au BDSM soft. C’était facile : comme toutes les adolescentes elle avait adoré Fifty shades, et entre ma maison de famille et ma décapotable, son imagination débordante et ses hormones me conféraient un air de Christian Grey.

Les ennuis prirent forme en deux temps. D’abord au détour d’une conversation anodine au cours de laquelle j’appris qu’elle avait travaillé dans la même boîte qu’Anita, que j’avais baisé le soir de notre premier rendez-vous avec Carrie. J’avais depuis rompu avec elle, ou plutôt Anita m’avait largué. Il n’y avait donc aucune raison de cacher à Carrie mon passé avec son ex-collègue, il suffisait de trafiquer un peu les dates. Par honnêteté sincère, je le lui dis donc, pensant que malgré son adolescence mentale, elle pourrait encaisser le coup. Erreur. Elle laissa pourrir la situation une journée puis rentra à Paris.

Je ne parvins à sauver la situation qu’en jouant les romantiques, remontant à la capitale moi-même pour la récupérer. Du moins c’est ce qu’elle crut. En réalité, son numéro de drama queen m’avait passablement agacé, et j’avais une furieuse envie de revoir Sonia, ma belle parisienne potelée, pour une nuit. Ce que je fis. Après l’avoir baisée une dernière fois en fin de matinée, je retrouvai Carrie en début d’après-midi en me faisant passer pour un Roméo désespéré revenant à Paris spécialement pour elle. Le coup marcha, mais Sonia n’est pas de celles ayant le pouvoir de me faire remonter à Paris si souvent. Alors je fis comprendre à Carrie qu’elle venait de griller sa seule cartouche.

Notre mois d’août repartit de plus belle, chez moi au soleil. Nous alternions sexe, films sous la couette et les bons repas que je lui préparais, comme pour faire vibrer encore un peu plus la même corde. Il faut dire qu’avec son tableau de chasse essentiellement composé de geeks, même des pâtes correctement assaisonnées l’impressionnaient. Malgré tous ses défauts, je dois reconnaître que son excitation permanente, son obédience, sa dévotion et son goût pour le sperme me faisaient du bien.

Jusqu’à cette fameuse soirée. Je l’emmenai dans ma famille, passer le 15 août dans ce petit coin magnifique pour la fête du village. Évidemment et malgré mes avertissements, elle se fit des films sur la signification d’une telle rencontre d’une partie de ma famille aussi tôt. Pour ma part, j’eus pour la première fois l’occasion d’observer Carrie dans une situation sociale. Elle passa la soirée au milieu de la piste de danse à allumer tout le monde, à commencer par mon cousin et ses amis. Le spectacle fut pathétique. Même si j’eus été capable de jalousie, je n’en aurais pas éprouvé le moins du monde. De la gêne par contre, assurément. Et je n’étais pas le seul.

Cet épisode revint ensuite souvent sur la table, mais Carrie, comme toute jeune fille persuadée de son pouvoir, ne parvînt pas à comprendre la simple réalité : son jeu avec les hommes était tellement excessif et enfantin qu’elle en devenait ridicule pour les autres, et gênante pour son partenaire. Elle, avec sa grille de lecture adolescente et son expérience constituée principalement d’interactions dans des mondes de geeks frustrés, persistait à y voir de la jalousie, et donc se confortait dans son attitude. Un cercle vicieux qui lui fut fatal à court terme : il était hors de question qu’elle me couvre de gêne à chaque situation de groupe.

Je ne me souviens plus de la fin du premier acte. Seulement d’avoir baisé une semi-artiste rencontrée sur Bumble et montée sur Paris pour me voir, avant de prendre un train pour Bruxelles le lendemain matin pour rejoindre Carrie pour un week-end. Quelques jours après, je m’en séparai.

Cette séparation fut l’occasion d’échanges écrits interminables, ces discussions surréalistes dont elle avait le secret. Carrie était une personne différente IRL et par messages. Aussi impressionnable et soumise en face à face, qu’infernale et insaisissable par écrit. Tout échange épistolaire était une guerre qu’elle livrait à son interlocuteur. Ses armes étaient celles de l’adolescente : les non-dits, le passif-agressif, l’évitement de toute réponse claire à une question directe, et l’inconstance. Elle poussa le bouchon loin, jusqu’à me demander plusieurs fois de formuler les raisons de notre séparation, qu’elle ne semblait pas comprendre, en réalité ne voulait pas accepter. Elle n’écoutait rien. Les raisons tenaient précisément dans son approche des relations aux autres, mais il aurait fallu qu’elle prenne du recul pour le comprendre.

On ne peut pas en demander autant à une adolescente, même de trente ans.


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