Anita, telle éprise qui croyait prendre

Voici Anita, la trentaine à notre rencontre, petite asiatique ayant intériorisé ses formes et dégageant le charme d’une veuve noire. Nous nous sommes rencontrés sur Tinder, elle cherchait un plan cul.

C’est rare, les femmes qui cherchent un plan cul sur Tinder. Enfin non, c’est courant, mais elles ne l’avouent pas en général. Elles préfèrent le cacher jusqu’au bout, même après avoir consommé. Anita ne me l’avait pas avoué non plus, mais elle avait ce côté direct qui laissait clairement entrevoir ses attentes.

Nous devions nous rejoindre près de mon hôtel en deuxième partie de soirée, c’est dire si elle avait faim. Mais quelques expériences précédentes m’avaient prouvé que passer directement de l’écrit à l’horizontal est toujours foireux. Alors, quand elle arriva à mon niveau et me fit une bise étrange à mi-chemin entre l’assurance et la gêne, je lui proposai d’aller prendre un verre, ce qui la surprit d’abord, mais finalement parut la rassurer.

Ce moment, bien que truffé de platitudes, permit de créer cette légère connexion indispensable à une intimité réussie. Une quarantaine de minutes nous suffirent pour cela, et nous nous engageâmes tranquillement vers mon hôtel. La chambre était belle, grande, c’était l’époque où l’on pouvait encore dénicher des 4 étoiles à prix abordable en dernière minute à Paris.

Ce que je ne réalisai qu’après coup, c’est que ce verre proposé courtoisement plutôt qu’un empressement à se retrouver nus dans un lit constitua le premier point d’une série que je marquai avec Anita. Quatre, pour être exact.

Le second point fut marqué quand je la déshabillai. Je découvris les trois tatouages qui parsemaient son corps rond et charnu, mais ferme. Ils étaient de bonne facture, plutôt esthétiques, assez volumineux pour prouver qu’elle les assumait, mais assez discrets pour prouver son intelligence sociale. L’un d’entre eux était un mot en grec. Un mot que personne ne connait. Un mot suffisamment rare pour que sa définition, et encore plus ce qu’il représente pour elle, lui soit personnelle.

Je ne savais pas ce que représentait ce mot pour elle, mais par le plus grand des hasards je connaissais sa signification. Je la lui récitai donc, avec une voix grave et un regard profond, comme si j’avais réussi à percer une lucarne de vrai derrière la neutralité qu’elle affichait pour notre rencontre se voulant légère. Et pour achever le tableau, je me gardai bien de lui demander sa signification profonde : il faut toujours montrer son intelligence sensible à une femme.

Le troisième point marqué fut évidemment le sexe. Sans être le coup du siècle ce soir-là, je me débrouillai néanmoins pour qu’elle en aie pour son argent. C’est-à-dire plus que ce qu’un plan cul devrait normalement lui donner. Les longs cunnilingus sont une arme parmi d’autres dans ces cas-là. L’endurance aussi.

C’est lors de notre deuxième entrevue que je marquai le quatrième et dernier point. Elle devait m’attendre directement dans ma chambre d’hôtel cette fois-ci, mais s’inquiétait du cerbère qui ne manquerait pas de l’interroger à la réception. Par bonheur, elle m’avait dit son nom de famille la première fois, et par miracle, je m’en souvenais. Je n’ai pourtant pas de mémoire pour ces choses-là, mais elle avait un nom étonnant. Un nom méditerranéen qui n’allait pas du tout avec ses origines asiatiques. J’avais donc donné son nom au réceptionniste. Elle fut estomaquée, et flattée, que je m’en souvienne. Elle me remercia en m’attendant en peignoir, et ce dernier point marqué me fit définitivement passer de plan cul sympa à potentiel homme de sa vie.

Évidemment, elle ne me l’avouait pas pour autant. Dès lors, nous devînmes donc plan cul régulier, comme disent ces connes parisiennes dont Anita, avec ses origines et sa vie cosmopolites, était heureusement trop intelligente pour appartenir véritablement.

Nous nous vîmes souvent chez elle, dans son petit appartement mignon de proche banlieue. J’aimais m’y lover au retour de mes longs voyages ; à cette époque, je prenais régulièrement des vols de nuit. Elle m’ouvrait la porte, vers les 5 heures du matin, et filait immédiatement se recoucher. Pour ma part, je prenais une douche, me séchais avec la serviette qu’elle me préparait toujours, puis allais me glisser nu contre elle pour finir la nuit. Nous nous réveillions deux heures plus tard en baisant lentement. C’était toujours une fin de voyage agréable.

Je sentis son niveau d’attraction grimper encore lorsqu’elle se mit à accepter certaines pratiques sexuelles qu’elle refusait au départ. Mais je n’avais aucune intention de quoi que ce soit de plus que notre relation actuelle, car Anita avait deux défauts. D’une part, son regard profond et mutin ne parvenait que provisoirement à compenser son physique rond à mes yeux. D’autre part, elle ronflait. En fait, comme bien d’autres avant elle, Anita passait admirablement le test de la soirée, mais difficilement celui du weekend.

Nous poursuivîmes donc notre relation, avec de longues périodes sans se voir ; il fallait maintenir la distance raisonnable. Je dois toutefois reconnaître la capacité toute particulière d’Anita à prendre soin de moi. C’est notamment elle qui me ramassa à la petite cuiller après ma rupture avec Virginie. Ce soir-là, elle me fit découvrir son nouveau quartier (elle venait de déménager pour un tout aussi charmant appartement dans Paris), me nourrit, me caressa pendant que nous regardâmes le dernier épisode en date de Game of Thrones lovés l’un contre l’autre (je n’aimais pas cette série, mais il fallait bien la regarder pour avoir une vie sociale à l’époque), et me suça avec application avant de dormir. On ne peut pas parler d’amour, mais elle savait admirablement créer ces moments de tendresse au milieu de nos vies. C’était pour elle une tentative de transformer notre relation en autre chose, mais ce soir-là, j’en profitai égoïstement.

Notre relation pris fin lors d’une soirée racontée dans un autre récit, après un rapport intense et satisfaisant. À la suite de cette rupture, il y eut un silence de sa part pendant plusieurs mois. Elle reprit le contact par une série de messages assez directs : elle voulait savoir si j’étais célibataire, et disponible. Lorsqu’une femme marque la différence entre les deux, c’est qu’elle vous veut en entier. Nous nous revîmes un soir chez elle en coup de vent, pour discuter. Elle attendait des excuses de ma part pour ma maladresse de la soirée où elle m’avait largué, qu’elle n’obtint pas. Au fond, elle s’en serait passée sans problème si j’étais prêt à quoi que ce soit de sérieux avec elle, mais il n’en était toujours pas question. Cette entrevue étrange se conclut donc par de nouveaux mois de silence, avant qu’elle réapparaisse, une dernière fois, et me demande cette fois directement ce que je voulais avec elle. Ma réponse fut tout aussi directe, polie, mais sans équivoque. Elle me remercia et disparut à jamais.

Un an plus tard, elle avait changé de nom de famille sur LinkedIn, et dans les quelques mois suivants, sa photo de profil WhatsApp affichait le visage angélique d’un bébé aux yeux bridés.

J’étais au sommet de sa liste. Elle ne put épouser que le second. C’est la vie.